J’en avais déjà brièvement parlé dans cet article, mais à ses débuts, le mouvement #bodypositive m’a énormément emballé. Je trouvais ça génial que les femmes (et pas que les femmes) oppressées par la société, victimes de grossophobie quotidienne (au travail, chez le médecin, etc) ou encore de notre société validiste, disent enfin « stop » et montrent qu’on n’a absolument pas besoin de faire une taille précise ou ressembler à un certain “type” de corps pour être bien dans sa peau, être sexy et s’aimer telle qu’on est, sans vouloir changer quoi que ce soit.
Il y avait là-dedans un côté libérateur, un message très fort, et j’y ai vraiment cru. J’ai cru que les marques de vêtements allaient enfin revoir leur vision (extrêmement limitée et toxique) de la mode. Dans la réalité, il y a certes du progrès (les sites comme ASOS et Missguided, par exemple, ne retouchent plus les photos des mannequins – grande taille ou non – et on voit nettement plus de diversité parmi les corps; des bourrelets, des vergetures, etc). Mais petit a, j’ai bien peur que ce ne soit pas suffisant et le fait que ce genre de démarche suscite des applaudissements presque ahuris, alors que c’est juste… normal et la moindre des choses?, en dit long sur le chemin qu’il reste à parcourir dans notre société.
Et surtout, petit b… J’ai le sentiment (et en parcourant le net, il se trouve que je suis loin d’être la seule) que l’univers de la body positivité est devenu une échappatoire pour celles•eux qui ont des complexes. C’est tout d’abord cet article, du blog Pensées by Caro, qui m’a amené à réfléchir; je vous conseille fortement de le lire, d’ailleurs. Puis celui-là, de l’autrice Kiémys sur Buzzfeed, tout aussi intéressant (qui raconte, entre autres, comment le mouvement body-positive est né). Le fait est que plus j’y pensais, plus je prenais le temps d’écouter les personnes concernées, et moins j’y croyais, à ce hashtag qu’on voit désormais partout.
Alors certes, vous me direz, on peut être mal dans sa peau en faisant un 36 comme en faisant un 46. À la différence près que le premier correspond nettement plus aux « standards » de la beauté définis par la société actuelle et les médias, à savoir un corps mince (et valide). Quant au deuxième, il est nettement moins facile à vivre dans notre société. Lorsqu’une personne fait un 46 et dit qu’elle s’aime et ne veut pas perdre du poids, elle a au mieux droit à un « Oh c’est génial que tu t’assumes et que t’aies confiance en toi, moi je pourrais pas! ». Au pire, on la croit pas. Ou, encore pire, on commence à lui dire qu’elle doit penser à sa santé, lui parler de son IMC et on ose lui dire – parfois gentiment, parfois non – qu’elle doit perdre les kilos « en trop » pour éviter telle ou telle maladie. Il n’y a qu’à lire les témoignages des personnes qui ont déjà un jour subi des remarques et des traitements grossophobes, pour prendre conscience de l’ampleur du problème.
Peut-être ne serez-vous pas d’accord avec moi – mais je serai intéressée de connaître votre opinion et d’échanger avec vous! – mais le fait est que, selon moi, les deux ne sont pas comparables. Pour être tout à fait honnête, je trouve que ça a tendance à non seulement attirer les projecteurs sur soi, mais aussi à décrédibiliser le but premier du terme qui est la body-positivité, à savoir donner de la visibilité à des corps qui sortent de cette norme qu’on essaie de nous imposer, des corps différents de ceux qu’on voit sur nos écrans, dans les magazines et dans les vitrines. Cela me gêne de voir dans le hashtag #bodypositive la photo d’une fille mince, avec à la limite quelques vergetures à peine visibles, affirmant fièrement qu’elle est bodyposi avec une légende de type « Je m’aime et je m’assume malgré mes kilos en trop et mes défauts! »
Et si on commençait simplement par arrêter de dire que ce sont des défauts?
Et si on faisait preuve d’humilité en ce qui concerne le mouvement bodypositive et qu’on laissait avant tout la parole aux personnes stigmatisées et discriminées dans la vie de tous les jours?
Si vous avez un peu suivi les actualités dernièrement, vous savez que le hashtag #grosse a été censuré sur Instagram, car, je cite “encourageant des comportements dangereux”. A l’heure où les milliers de comptes fit et le hashtag #thinspo (inspiration pour être mince) ne connaissent aucune censure. Vous la voyez un peu mieux, l’inégalité de traitement? Et ce n’est qu’un minime aperçu du problème.
J’ai beau avoir été complexée pour plein de raisons pendant une bonne partie de mon adolescence (je continue doucement à me défaire de ces vieux démons) je n’utilise plus le hashtag #bodypositive sous mes photos et je lui préfère toujours le #selflove ou le #loveyourbody. On peut dire que le message reste globalement le même, mais ça évite de s’accaparer d’un réel combat qui, à la base, n’a pas été créé pour des personnes comme moi. Car soyons francs, avec mon 40/42, la taille considérée comme in-between, je n’ai pas une seule fois dans ma vie été touchée par la violence et les injustices que peuvent subir les personnes de tailles plus grandes. Pourtant si on en croit les ridicules idéaux de beauté, j’en ai des détails « à rectifier ». Des vergetures, des cicatrices, de la cellulite sur les cuisses. Un ventre pas plat. Des bras pas suffisamment musclés ou fermes. Pas de tigh gap mais plutôt des hip dips (un creux au niveau des hanches et oui, apparemment c’est aussi une source de complexes et internet vous donne plein de conseils sur comment le combler, le muscler, bref s’en débarrasser quoi).
Je ne laisse plus ces détails me définir et surtout, je ne les considère plus comme des imperfections. Ils font simplement partie de moi. Il ne me viendrait jamais à l’idée de me réveiller un matin avec l’idée que mes coudes ou mes genoux sont imparfaits et disgracieux, alors pourquoi il devrait en être autrement pour les autres parties du corps? Ces parties du corps qu’on nous apprend à détester, à cacher, à vouloir modeler à tout prix pour rentrer dans un moule.
Toutes ces petites choses ne font pourtant qu’un avec ce corps qui a supporté tout ce que j’ai pu lui faire subir et qui continue de me faire vivre tant de belles choses, qui sont nettement plus importantes que les apparences. J’apprends à voir au-delà des choses sur lesquelles je me focalisais beaucoup trop par le passé. J’apprends à ne plus me fier à une société qui détruit la confiance des millions de femmes. Mais toujours est-il que je n’ai jamais été discriminée comme d’autres femmes et hommes peuvent l’être. Je n’ai pas à me plaindre de ne pas avoir reçu de soins médicaux à cause de mon poids, de ne pas avoir été embauchée sur ce critère. Je ne suis pas concernée et ce problème dépasse mon égo et les problèmes que je peux me créer dans ma tête. Alors oui, j’ai des complexes, je me regarde encore parfois dans le miroir avec un regard critique qui au fond, n’est pas le mien, mais celui d’une société qui a passé des années à essayer de me faire sentir mal dans ma peau pour tout un tas de raisons (mais cela arrive bien moins souvent qu’avant et ça pour moi, c’est déjà une petite victoire).
Mais je ne veux plus m’approprier une lutte qui ne me concerne pas personnellement, un combat contre une discrimination et une oppression systémique. Aujourd’hui, je souhaite surtout être une alliée du mouvement bodypositive, et être une alliée pour moi, ça veut dire :
– se taire à certains moments et laisser les personnes concernées parler
– être capable de se mettre à la place de l’autrui
– réaliser que nos problèmes d’estime de soi ne peuvent pas se mesurer aux injustices que certain•es peuvent subir au quotidien
Cela ne veut pas dire que je ne fais jamais d’erreurs; je sais que j’ai encore énormément à apprendre et que je dois continuer à me défaire des notions problématiques qui m’ont inculquées, dans bien des domaines d’ailleurs. Il y a des fois, pour ne donner qu’un exemple, où je ne pense pas à corriger mon interlocuteur qui insinue que dépasser un certain chiffre sur la balance, ça veut forcément dire avoir des problèmes de santé. On peut pourtant peser 50kg, avoir une mauvaise hygiène de vie, manger n’importe quoi et n’importe comment et être en mauvaise santé, mais dans ce cas-la, on n’entend personne nous sortir l’argument du poids. Je ne suis sans doute pas la mieux placée pour expliquer en quoi tous ces stéréotypes et idées reçues sont toxiques et problématiques, mais j’essaie de me déconstruire et je fais de mon mieux pour ne plus être moi-même une partie du problème.
Je trouve qu’être #bodyposi c’est très bien, mais ne pas s’approprier une lutte sociale quand on n’est pas directement concerné•e, c’est mieux. Je vous laisse sur ces quelques extraits, que je trouve très pertinents, des articles mentionnés au début du texte.
Caroline a écrit : « Il existe tout de même une différence entre le “sentiment d’être grosse” et le fait de l’être, tout simplement. Or, lorsqu’on est du “mauvais côté”, de celui des cuisses qui frottent, donc, et qu’on se réjouit de l’émergence de cette tendance body positive, espérant qu’enfin la stigmatisation va cesser, il est un poil décourageant d’assister à la récupération de nos souffrances, pour des raisons assez évidentes d’opportunisme.
Comme actuellement ça fait vendre, pourquoi se priver, n’est-ce pas ? Et pourquoi balancer de vraies grosses (qui, elles, ne font toujours pas vendre) en une des magazines pour parler de l’acceptation de soi, alors qu’on peut tout à fait s’en passer, puisqu’après tout, “on a toutes un problème avec notre miroir?”
Kiyémis a écrit : « Enfin, un mouvement qui prônait l’amour de soi, et qui me rappelait les conversations qui régnaient dans mes forums de gros-ses. “Nous y avons toute notre place! Ce mouvement repose sur nos épaules!” Naïvement encore, je pensais ce mouvement subversif, car il interrogeait les normes de beauté en vigueur, des normes d’un corps mince, aux traits dits «européens» et à la peau blanche valide, avec une forme de corps particulier. (…) Je voyais ainsi ce mouvement comme radical, car s’aimer radicalement peut être une arme pour refuser ce carcan imposé à nos corps.
Plus je cliquais sur les hashtag #bodypositive, moins je voyais de corps qui me ressemblaient. Le jeu des réseaux sociaux faisait qu’au sein même de ce qu’on appelle la “sphère body-positive”, les corps les plus valorisés via les likes étaient ceux qui déviaient le moins de la norme.
Kiyémis a écrit : « Le body-positive, en devenant mainstream, s’est réaligné sur les critères de beauté construits notamment à l’attention des hommes, et il a perdu toute substance subversive en effaçant de la carte celles qui l’ont vu naître dans ces forums, les femmes les plus grosses, qui étaient absentes des espaces médiatiques, et ainsi en invisibilisant leurs expériences de la grossophobie… »

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