
Ma très chère Oxana, tu es en 2013, tu viens d’avoir 22 ans.
A ce moment précis de ta vie, tu es convaincue d’avoir raté beaucoup de choses, pour la simple et bonne raison que tu n’as pas eu une enfance facile et que ta vie d’adolescente ne ressemblait pas à celle des autres; scolarisation à domicile à cause de ta santé (mais aussi de l’harcèlement subi au collège, mais ça, tu as appris à ne pas en parler) enchaînement de rendez-vous médicaux, des interventions chirurgicales qui ont laissé des séquelles plus lourdes que prévu.
Tu as perdu des amitiés que tu étais persuadée d’avoir avoir crée pour le reste de ta vie. Tu n’es encore jamais tombée amoureuse.
Laisse-moi te rassurer: ça va venir.
Ce ne sera pas comme tu l’imagines, du moins, pas au début. Ce sera chaotique et douloureux et tu verseras des litres de larmes. Je sais que ce n’est pas ce que tu veux entendre, je sais que tu aimerais que je te dise que tout ne sera que bonheur, fête et que ta vingtaine sera remplie uniquement de chouettes expériences pour rattraper le temps perdu.
La vérité c’est que tu n’as rien à rattraper, mais ça, tu ne l’as pas encore compris. Tu n’as jamais été « en retard » sur les autres, tu n’as jamais été « bizarre ». Tu étais toi et tu vivais à ton rythme. Tu n’avais jamais eu besoin de te comparer.
Et ce qui t’attend ne sera pas toujours facile ou agréable.
Tu adopteras un chien et tu n’auras d’autre choix que de t’en séparer, parce que tu ne seras pas en mesure de lui offrir le foyer dont il a besoin – ce sera très dur pour toi de l’accepter, tu culpabiliseras beaucoup, même des années plus tard, mais sache qu’aussi difficile que sera cette décision, ce sera la meilleure à prendre, à ce moment là.
Tu feras des rencontres amicales qui te feront tourner la tête, persuadée au plus profond de ton cœur d’avoir trouvé « tes » personnes, et tu tomberas de haut quand elles se révéleront être juste de passage dans ta vie, des pages survolées, des chapitres inachevés.
Oh comme j’aimerais te dire que ta vie sera un long fleuve tranquille ou un enchaînement de soirées folles!
La vérité c’est que tu vas faire des conneries, tomber amoureuse des mauvaises personnes, continuer de trouver puis de perdre des ami-es qui, comme tu le réaliseras plus tard, ne l’ont jamais vraiment été.
Tu enchaîneras des soirées (bien trop alcoolisées) en compagnie des gens avec qui tu n’as rien en commun, mais dont tu es convaincue avoir besoin pour exister.
Tu te persuaderas de devoir à tout prix attendre « le bon » pour avoir de la valeur; le bon garçon, le bon moment, pour finalement oublier qui tu es et tout ce en quoi tu crois, dans les bras de la seule personne qui ne méritera jamais ta confiance. J’aimerais te crier dessus et te secouer pour t’éviter cet épisode précis de ta vie, mais je sais que ça ne servirait à rien. Tu es bien trop têtue. Tu as besoin de t’en rendre compte toi-même.
Tu ne cesseras de te répéter qu’il doit forcément y avoir quelque chose qui cloche chez toi, sans te dire une seule fois que peut-être ces personnes qui vont, viennent et disparaissent, ne sont simplement pas faites pour toi.
C’est dur à entendre, je le reconnais.
A 22 ans, tu crois dur comme fer que tu as besoin d’être entourée en permanence et d’avoir plein d’ami-es pour avoir l’impression de compter et de valoir quelque chose, et il te faudra pas mal d’années pour comprendre que la seule personne qui a besoin de t’aimer, te soutenir et croire en toi, c’est toi-même.
Tu as le droit de me trouver niaise. Je sais que tu es à un moment dans ta vie où tu crois que rejeter le romantisme et la bienveillance fait de toi quelqu’un de cool, « une fille pas comme les autres », différente, intéressante. Tu n’es sans doute pas encore prête à l’entendre, mais dans quelques années ton monde et ta vision des choses vont changer de façon radicale: de la pick-me insupportable et déterminée à te faire remarquer, tu deviendras une féministe pour qui la sororité est plus importante que tout.
Tu cesseras de vivre à travers le regard des autres, et surtout à travers le regard des hommes.
Toi qui rejettes tout ce qui est politique sans même te rendre compte de tes privilèges, tu finiras par militer non seulement pour les droits des animaux mais aussi des êtres humains (oui, tu seras de gauche et tu en seras fière).
Alors certes, tu as encore du chemin à faire et tu rencontreras plus d’un obstacle sur ta route. Mais tu sais ce qui t’attend, au-delà de ces « échecs » qui, comme tu en es intimement convaincue à cet instant, ont déjà défini toute ta vie?
Quand tu seras au plus bas, tu vas rencontrer un homme merveilleux qui sera à tes côtés, à chaque étape, pendant que tu reprendras confiance en toi. Tu t’extirperas des griffes de tes TCA, tu reprendras des kilos, tu seras épanouie et en paix avec toi-même. Tu ne compteras plus jamais les calories. Tu te fianceras lors de vacances paradisiaques en Grèce. Tu te marieras à Venise, avec ta maman et ton papa à tes côtés. Tu auras deux adorables chiens et trois chats. Tu vivras dans une maison à la campagne, avec une cheminée et un jardin. Tu porteras des choses que tu ne t’imagines même pas porter à cette seconde, assise en pleurs devant ton placard, conditionnée à toujours vouloir être plus petite et plus mince et plus délicate, pour que quelqu’un daigne vouloir prendre soin de toi.
Tu n’es pas cette personne et quelque part au fond de toi, je sais que tu le sens. Tu n’es pas une petite chose fragile. Et je sais que c’est ce que tu penses, mais tu n’as certainement pas besoin d’un homme pour te sortir de là où tu es — tu vas y arriver toute seule.
Tu tomberas souvent, au cours de ces dix années qui t’attendent. Tu auras mal. Et pourtant tu te relèveras, à chaque fois. A force de tes bras, de ta volonté, de la lueur d’espoir qui ne s’éteint jamais, de tout cet amour que tu as à offrir malgré les déceptions. Tu as en toi une lumière qu’aucune épreuve et aucune personne mal intentionnée n’arrivera jamais à éteindre et je te promets que je continuerai d’en prendre soin.
A 32 ans, tu n’auras toujours pas la science infuse, tes décisions ne seront pas empreintes d’une grande sagesse, tu continueras de te tromper, de trébucher, d’hésiter, d’apprendre. Tu ne deviendras pas tout d’un coup une adulte responsable qui a tout compris à la vie, tu seras… toi. Avec ton passé et tes erreurs; mais chacune d’entre elles t’aura appris quelque chose.
Alors n’aie pas peur de vivre. N’aie pas peur des échecs. Regarde ton reflet pour ce que tu es, pas pour ce que les autres te disent que tu dois être. Rends-toi compte de ton potentiel, de tout ce que tu as déjà surmonté et de tout ce que tu accompliras encore. Aucune de tes victoires n’est insignifiante et rappelle-toi toujours que ta plus grande force, ton pouvoir secret, c’est l’amour que tu donnes, sans concessions et sans regrets. L’amour pour les personnes qui font partie de ta vie, l’amour de la nature qui t’émerveille, l’amour des animaux que tu t’es engagée à protéger, l’amour de la vie… et l’amour de soi, parce que rien n’est impossible et rien n’est insurmontable, tant que tu crois en toi.
Signé Oxana de 2023.


C’est encore un très bel article, très bien écrit. Tu peux être fière du parcours accompli depuis dix ans ! Et je te souhaite un très joyeux anniversaire ! 🙂
Je me retrouve forcément beaucoup dans ton texte. Je suis plus âgé que toi et j’espère moi aussi enfin dépasser cette barrière qui me bloque. Après le harcèlement subi durant presque toute ma scolarité et l’arrêt de mes études, j’ai vécu un vide absolu de plus de quinze ans et je n’ai encore jamais été en couple, je n’ai jamais travaillé non plus. Et j’ai découvert très tardivement que j’étais neuro-atypique, ce qui ne m’a pas aidé à comprendre mes différences et à apprivoiser les autres. D’où l’espoir que je fonde sur mon livre après presque deux ans de travail acharné, l’espoir d’enfin arriver à quelque chose et de montrer qui je suis. C’est presque une question de vie ou de mort pour moi, le temps passe trop vite et je ne peux plus me permettre d’échouer.
Merci Romain pour ton message! Comme tu as pu le lire dans mon article, il y a encore quelques années j’étais la dernière personne à penser ça, mais le fait est que: il n’y a pas d’âge pour être enfin en paix avec soi-même, pour se comprendre, pour accepter que toutes ces choses qui nous font croire qu’on est « bizarres » sont à mille lieux d’être des défauts! Alors je ne peux que te souhaiter de trouver cette paix intérieure, de ne pas considérer tes potentiels échecs ou différences comme des défauts, d’accepter qu’il y a un temps et une heure pour tout ❤️ Je crois que même si personnellement, j’estime être à un moment de ma vie où je suis apaisée avec qui je suis, on ne cesse jamais de « travailler sur soi ». J’aime croire qu’on est un chef-d’œuvre toujours en cours de réalisation, pas une toile achevée et qu’on a toujours des choses à apprendre 😌